LE RISQUE DE PERTE DU LIEN PARENTAL LORS DES SEPARATIONS

Par Benoît VAN DIEREN
Psychologue et Médiateur

La conséquence la plus dramatique, et de moins en moins rare, d’une séparation parentale est sans aucun doute  le risque de perte du lien d’un enfant avec un de ses parents. Cette perte du lien peut s’inscrire dans le rejet et le développement d’un sentiment de haine de la part de l’enfant. 
Cette perte de lien est très souvent gravement préjudiciable à l’évolution de l’enfant.

LES TROIS POLES DU PROCESSUS

Quand il y a perte du lien parent-enfants, sous un angle systémique, on mettra en évidence trois pôles qui interviennent et interagissent l’un sur l’autre.

Le pôle maternel
Le pôle paternel
L’enfant

Pour mettre en évidence ce que chaque pôle représente, nous envisagerons ci-dessous des situations extrêmes (heureusement assez rares), situation où un de ces pôles intervient quasi exclusivement :

LES TROIS CAS DE FIGURE EXTREMES

L’ALIENATION PARENTALE SEVERE
       Ou lorsqu’un parent  est « démissionné » par le parent qui reste « proche »

C’est la situation où un des deux parents, que nous appellerons le parent « proche », parce que c’est lui qui a les contacts les plus fréquents avec l’enfant, fait en sorte que l’enfant rejette complètement l’autre parent.

C’est souvent la conséquence d’une séparation très conflictuelle dans laquelle un parent se sent profondément lésé parce que l’autre n’a pas répondu à son « obligation » d’assurer son bonheur, ou pire, l’a abandonné ou trahi . Il arrive souvent  que ce parent confondant le rôle parental avec le rôle conjugal entraîne ou utilise l’enfant dans sa vision négative voire diabolisée de l’ex-conjoint et entraîne l’enfant ou l’utilise dans son besoin de faire « payer » à l’autre la profonde blessure.

Il n’est pas exceptionnel au moment de la séparation d’entendre l’un dire explicitement à l’autre : « Tu vas payer très cher ce que tu m’as fait : je ferai en sorte, non seulement que tu ne voies plus notre enfants mais aussi que ton enfant lui-même ne veuillent plus te voir ». .

Lorsque ce processus aura réussi   ce parent ne manquera de dire autour de lui (en ce y compris au juge): « j’essaie de persuader notre enfant de voir « l’autre »  mais que voulez vous que je fasse puisqu’il refuse obstinément ? Je respecte et j’aime mon enfant et c’est pourquoi je respecte aussi sa volonté de ne plus voir « l’autre ». Je ne suis pas opposé à ce que notre enfant ai de bonnes relations avec l’ « autre » mais je n’ai pas le moyen de l’en persuader !».

Pourtant souvent le parent rejeté était auparavant aimé et respecté par son enfant et ce parent essaie désespérément, par tous les moyens, de maintenir le lien et l’affection vis à vis de l’enfant.

Il s’agit donc ici de l’aboutissement d’un processus de manipulation intense et systématique visant à ce que l’enfant lui même écarte résolument et, si possible, définitivement l’autre parent.

Une fois que ce processus a abouti, l’enfant est enfermé dans un système très intense et élaboré de croyances quant au caractère foncièrement mauvais, voire diabolique de l’autre.
En général, tout ce que « l’autre »  parent tente  pour rétablir une relation avec son enfant est voué à l’échec : Il s’efforce de forcer le barrage créé autour de l’enfant pour le protéger du « monstre » et  il est évidemment accusé de harcèlement ou d’agression.

Si il cherche à avoir un contact (même furtif) avec l’enfant à la sortie de l’école : sa tentative sera érigée en preuve de son sadisme : un parent qui perturbe son enfant en le mettant dans l’embarras et de surcroît en public. 

Ses appels téléphoniques seront ressentis comme intrusifs et perturbants pour la vie de famille.

Si au contraire, ce parent parvient à dominer son désir de voir son enfant afin de ne pas le perturber, il sera alors confirmé dans son rôle de parent défaillant qui se désintéresse de son enfant.

Ce parent se trouve dans de toute évidence dans une impasse, ce qu’il vivra évidemment très mal et si ce parent perdu et désespéré « pète les plombs », il sera alors  définitivement étiqueté  « parent fragile, incompétent et/ou dangereux ».
Tout espoir de retour à la relation antérieure disparaît.
Tel le ciment qui se solidifie autour du poteau, les chances de faire bouger les choses s’évanouissent au fil des mois qui passent.

Nous venons de voir qu’il existe donc des situations où un seul parent sera le responsable quasi exclusif du rejet de l’autre par l’enfant et ce même si celui-ci aimait beaucoup son autre parent et que celui-ci était un bon parent du temps de la vie commune.

RUPTURE DU LIEN  DUE A LA  DEMISSION OU L’ABANDON DE L’ « AUTRE » PARENT.
Ou le parent démissionnaire.

L’autre extrême, c’est le cas du parent qui après une séparation part ou « refait sa vie » coupant définitivement tout contact et laissant conjoint et enfant livrés à leur sort. . Dans ce cas le parent « éloigné » est évidemment le propre auteur de son  éloignement.

Tout ceci peut se produite alors que le parent resté « proche » de l’enfant a sincèrement tout fait pour maintenir le lien le plus étroit possible entre son enfant et l’autre parent. Il est donc souvent profondément meurtri par cet abandon conjugal ET parental. Il se retrouve seul avec l’enfant et ne sait que lui répondre face à cette absence inexpliquée et inexplicable...

Ce parent « éloigné » est alors qualifié de « démissionnaire ».

RUPTURE DU LIEN INITIEE PAR L’ENFANT LUI MEME
           Ou l’enfant personnellement blessé et révolté

Le troisième cas de figure c’est celui de l’enfant qui est personnellement profondément choqué et meurtri par le départ de son parents et qui peut arriver à le rejeter, ressentant son parent qui quitte le bateau familial (et le laissant à la dérive) comme un abandon et une trahison insupportable et impardonnable.
Ce sentiment est encore renforcé si le parent quitte soudainement le foyer pour en fonder un autre immédiatement, mettant en outre l’enfant dans l’obligation de cohabiter d’apprécier et même d’aimer, le nouveau compagnon.
Si en outre l’enfant se rend compte que le nouveau compagnon était déjà entré dans la vie de son parent bien avant la séparation, l’amertume peut devenir extrême.

Nous constatons que même si le parent « abandonné et trahi » arrive à dépasser sa propre douleur et parvient à vraiment et sincèrement encourager la poursuite du lien de l’enfant avec son autre parent, il se heurtera toutefois au refus obstiné de l’enfant.

VISION SYSTEMIQUE DE LA PERTE DU LIEN PARENTAL

En dehors des trois cas de figure mentionnés ci-dessus que nous avons volontairement pris dans les cas extrêmes, nous pouvons affirmer que la toute grosse majorité des situations de rupture de lien enfant-parent s’explique par un mixage et un processus complexe d’ « action-réaction » entre ces trois pôles père-mère-enfant .

Pour la clarté de la « démonstration », laissons provisoirement de côté le cas de figure du parent démissionnaire, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il soit nécessaire plus rare, loin de là.

Considérons donc les situations les plus fréquentes, celles où  le vécu et les motivations du parent « proche » et de l’enfant se rejoignent et se renforcent mutuellement.

L’ASSOCIATION DE VICTIMES

Très souvent la souffrance du parent « proche » entre en résonance étroite avec celle de l’enfant.

Lorsque le parent « proche » est envahi par sa souffrance et qu’il est dans l’incompréhension de ce qui arrive, il ira sans doute chercher affection, réconfort, soutien, compréhension, voir complicité auprès des personnes qui lui sont proches et encore plus auprès de celles qui de plus partagent la même douleur causée par la même personne.
A partir de cette mise en résonance des émotions de chacun se crée une amplification des émotions, amplification qui se traduit notamment par l’emploi du « nous » à la place du « je » : « Il nous a abandonné… ou Regardez dans quelle situation il nous a laissés….  »
Le besoin de l’enfant de témoigner son affection, sa fidélité voir sa protection vis à vis du parent proche est considérablement accentuée par le besoin qu’il a lui aussi de trouver réconfort et soutien.  De plus pour peu que le parent « proche » reste ou s’enfonce dans la détresse  voir la dépression, et si ce parent s’abstient de chercher de l’aide à l’extérieur (parents, frères et sœurs, amis, thérapeute, etc.),  l’enjeu pour l’enfant deviendra considérable : si un parent a quitté le navire familial et que l’autre risque de s’écrouler (ou de mourir : les allusions, les tentatives de suicide ne sont pas rares dans ces cas) , il risque de se retrouver « orphelin » de ses deux parents.

LE PACTE CONTRE LE PARENT INDIGNE

Le phénomène d’association de victime peut en rester au stade d’un simple mécanisme de protection ou de résilience (tenir bon ensemble à travers l’adversité), mais il est assez fréquent que le processus dérive très vite vers l’émergence d’un pacte explicite ou implicite : « NOUS allons tout faire pour le faire changer d’avis et si nous n’y arrivons pas, nous allons lui faire payer très cher tout le mal qu’il nous a fait »
Nous avons donc d’un côté un clan (souvent fortement soutenu par la famille élargie) qui se protège et qui est en train de développer un pacte de dissuasion ou de rétorsion vis à vis du « fautif ». De l’autre côté nous avons un parent qui est honni et ostracisé, il se trouve alors totalement impuissant à renouer un lien même ténu avec son enfant.
A ce stade, l’intervention du système judiciaire joue un rôle tout à fait déterminant soit pour désamorcer cette spirale de profonds ressentiments réciproques de la part des deux « parties » qui se sentent en toute sincérité victimes l’une de l’autre, ou au contraire (ce qui est de loin le plus fréquent ) pour emballer la spirale en procurant à chaque partie des « outils »ou plutôt des armes pour se défendre. Comme chaque « partie » se sent en situation de légitime défense, ces armes deviennent alors carrément offensives et sont utilisées en toute bonne conscience estimant (vu l’agression de la partie adverse) n’avoir plus d’autre choix.

Le système judiciaire offre  aux parties une palette de moyens, des plus légers aux plus brutaux, utilisant parfois des stratégies où la mauvaise foi, voire la perversité, ne sont pas absentes. Dans la plupart des situations , l’avocat du client « prend lui-même les choses en mains », déchargeant ainsi le client de toute responsabilité quant aux coups bas qui vont être portés à l’autre,  coups bas qu’il n’aurait jamais eu l’élan de faire, mais que son avocat se croit obligé de faire ne serait-ce que pour que son client ai une bonne image de lui, qu’il se sente bien défendu !!!.

Nous ferons  plus loin des suggestions pour que le système judiciaire en ce y compris les avocats puissent jouer un rôle de stimulation de la collaboration parentale encore possible avant le processus d’emballement. Il est important que les acteurs du monde judiciaire n’enferment pas les antagonistes dans une logique de confrontation dans lequel chacun « doit » gagner et dans lequel, au bout du compte, il n’y aura que deux perdants: le gagnant officiel occasionnera souvent des dégâts irréparables au cœur du psychisme de son enfant, même si ces dégâts ne sont pas toujours palpables immédiatement.

Il est ailleurs fréquent que le parent « gagnant » paie ensuite très cher ce meurtre psychique de l’autre dans le cerveau de l’enfant par de violents reproches lorsque l’enfant sera devenu mûr, qu’il aura pris du recul par rapport à une situation qu’il n’aura vécue qu’à travers un seul prisme, celui du parent « proche ».
De plus le système judiciaire, avec les meilleures intentions du monde, au nom de la défense de l’intérêt de l’enfant, l’implique fortement en particulier en systématisant les auditions d’enfants par le juge, « obligeant » ainsi l’enfant à prendre position pour un de ses parent. Comme nous l’avons déjà dit à de nombreuses reprises, beaucoup de personnes, même sensées, y compris dans la sphère judiciaire confondent « l’envie de l’enfant, l’opinion de l’enfant, le besoin de l’enfant et l’intérêt de l’enfant, faisant facilement l’amalgame entre l’envie et l’intérêt de l’enfant (« on ne peut tout de même pas obliger un enfant à voir son père s’il n’en n’a pas envie ! »)

Etant déjà dans une société du règne de l’enfant-roi, le système lui donne donc ici le pouvoir de devenir l’enfant Juge de ses parents, même si on prend toutes les précautions oratoires pour le convaincre que ce n’est pas son avis qui va décider.
Après le passage chez le juge l’enfant sera probablement questionnés par ses parents,. Cela se fera directement ou indirectement, explicitement ou implicitement, mais il est évident que les parents voudront savoir ce que l’enfant a dit au juge. Les parents auront de toute façon accès à cette déclaration (directement par le juge qui la leur lira à l’audience ou par l’avocat qui ira la lire dans le dossier). Si les déclarations de l’enfant ne sont pas conformes à l’attente d’un parent et que des reproches sont formulés à l’enfant ou qu’il sent une distanciation du parent à qui la déclaration a déplu, l’enfant sera à tout le moins très mal à l’aise et il n’est pas rare que finalement finisse par avoir le sentiment d’avoir été trahi, trahi par ces adultes qui lui ont demandé de se confier à eux, trahi par « la Justice ». .
Un grand nombre d’enfant répugne à ce qu’on leur donne ce pouvoir exorbitant de « juger » leurs parents et se taisent ou restent évasifs de peur de trahir l’un des parents. D’autres par contre et surtout ceux qui ont été bien manipulés par un des parents s’en donnent à cœur joie avec beaucoup de conviction. Dans les cas d’aliénation parentale « réussie », la plupart des juges (et même la plupart des psy) sont incapables, sur base d’un entretien de détecter qu’il y a aliénation parentale. Notre expérience nous permet d’affirmer que ces enfants sont souvent subtils et convaincants dans leurs affirmations, accusations et récriminations.

LE CONCEPT D’ALIENATION PARENTALE 

FRAGILITE INTRINSEQUE DU CONCEPT

Nous venons de montrer qu’en dehors des cas extrêmes d’aliénation délibérée, il existe de nombreuses situations où une réaction très humaine de solidarité dans le malheur peut aboutir à un résultat à peu près identique à une aliénation parentale franche, et délibérée. La spirale des actions-réactions est souvent attisée par les alliances extérieures (familiales, amicales…) auprès de qui on va chercher aval et confirmation et, cerise sur la gâteau, le monde judiciaire n’est pas le dernier à offrir des armes pour mener ce combat d’extermination du parent «éloigné »...

Il existe évidemment des cas où le parent proche ne cède pas à la tentation d’emprise (parfois fusionnelle) sur l’enfant et de dénigrement systématique de l’ « autre » mais qu’il se contente d’embrayer ou surfer sur la vague de la tristesse et de la rancœur de l’enfant en « en rajoutant une couche » («et oui… comme je te comprends »..quant ce n’est pas « et si tu savais tout, tu serais très surpris….!!!»)
Il nous paraît très difficile de déterminer de l’extérieur la part d’intentionnalité ou de perversion dans le chef du parent « proche » de l’enfant qui dénigre ou qui rejette le parent « éloigné »

La plupart des parents rejetés par leur enfant ont la tendance assez naturelle et compréhensible à interpréter le rejet de leur enfant comme le seul résultat du lavage de cerveau du parent proche.
Souvent le dénigrement supposé de la part du parent proche est justifié mais pas toujours au point où le parent éloigné l’imagine  Celui-ci a tendance à sous estimer la blessure intime que l’enfant lui-même a ressentie ou sa propre responsabilité dans les  comportements inadéquats ou maladroits qu’il a pu avoir vis à vis de ses enfants.
Cette image de parent inadéquat dans le chef de l’enfant est encore renforcée par les réactions intempestives qui se manifestent souvent quand ce parent constate sa totale impuissance à rétablir un contact normal avec son enfant (voir plus haut)

Nous voyons donc que dans la grosse majorité des cas, le rejet du parent par l’enfant est la résultante d’un processus complexe dans lequel les trois pôles (père, mère et enfant ) interagissent à des degrés variables pour aboutir à ce triste résultat.

INTERET STRATEGIQUE DU CONCEPT ?

Dans les sciences humaines, la pertinence et l’utilité d’un concept se mesure en partie aux résultats que l’utilisation de ce concept produit.

Nous ne pensons pas être le seul professionnel du monde psy ou du monde judiciaire à avoir constaté l’habituelle levée de bouclier que provoque l’utilisation du concept d’Aliénation Parentale (à fortiori si le mot « syndrome » y est accolé). La réaction est immédiate de la part de la personne qui est directement visée par ce concept, en l’occurrence le parent « proche »  qui reçoit cette accusation comme une véritable gifle. Et évidemment à ses yeux cette accusation est complètement injustifiée. Même en cas d’aliénation parentale flagrante, le parent en question se persuade lui-même qu’il agit pour protéger son enfant contre le monstre qui est en face et il réagit dans le déni total du tort qu’il inflige ainsi lui même à l’enfant.

Par ailleurs, dans les cas moins flagrants où le rejet parental est la résultante d’un processus systémique décrit plus haut, il n’y a quasi jamais d’intérêt à appliquer à quiconque l’étiquette de parent aliénant AU DEPART EN TOUT CAS ce qui bloquerait radicalement toute tentative de rentrer dans une dynamique de collaboration parentale, seule issue possible selon moi comme il sera développé par ailleurs.

RÔLE DU CONTEXTE

Nous soulignerons ici qu’au delà de la dynamique complexe des interactions entre les trois pôles dont nous venons de parler, le contexte humain et institutionnel qui entoure la famille nucléaire va aussi jouer un rôle déterminant  dans le processus qui pourra ou non aboutir à la rupture du lien parental.

-la famille élargie
-les amis communs ou non
-le monde judiciaire, avec en première ligne (au niveau de l’impact) les avocats qui sont, en général, les premières personnes sur qui le parent désemparé et insécurisé s’appuie pour être soutenu et protégé. 
-le monde des intervenants psycho-sociaux, liés ou non au système judiciaire
-avec une mention particulière pour la Médiation familiale
Le rôle de ces différents éléments du contexte a déjà été abordé dans nos articles précédents.
Par rapport à la problématique qui nous occupe ici, nous nous attacherons à analyser les interactions complexes entre les familles en crise et le système judiciaire.
 Plutôt que de nous   attarder à une longue analyse critique des institutions judiciaires telles qu’elles fonctionnent, nous allons tenter d’ouvrir des pistes qui devraient permettre aux parents pris  dans l’engrenage infernal décrit ci-dessus, d’en sortir, du moins si ils le souhaitent.

INTERACTIONS  ENTRE LA FAMILLE EN CRISE ET LE MONDE JUDICIAIRE

Par rapport à cette problématique, nous invitons le lecteur à lire notre dernier article sur « La Justice face à l’Aliénation Parentale » sur ce même site.
Depuis qu’il a été écrit, notre réflexion a cependant été plus loin.
Cet article était en fait la retranscription d’une conférence qui s’adressait uniquement aux magistrats en matière familiale, dans le cadre  de la formation permanente organisée par le Conseil Supérieur de la Justice ;
Nous allons tenter de faire ici une synthèse de notre pensée en élargissant notre réflexion à l’ensemble du  système judiciaire.

DU BUREAU DE POLICE À LA COUR D’APPEL

Si nous nous  mettons à la place du citoyen confronté à un conflit parental aigu qui voit poindre la menace d’une perte de lien avec son enfant, la liste des intervenants possibles peut être longue. Nous ne ferons ici que citer la plupart d’entre eux , du plus proche dans le temps au plus éloigné :
L’avocat
La police du quartier
Le juge de paix
Le juge de la jeunesse
Le juge des référés
Le magistrat du Parquet
..avec tous les intervenants « associés » de près ou de loin au système :
Le service d’Aide à la Jeunesse,
Le Service de Protection Judiciaire
Les centres de planning familial et de guidance
Le médiateur familial
Le(s) expert(s)….

Partant du principe que lorsqu’un conflit parental est résolument engagé dans un processus où , dans le chef d’une « partie » au moins, il doit nécessairement y avoir un gagnant (« moi ») et un perdant ( ‘l’autre »), tout, absolument tout les éléments du contexte environnant sera utilisé pour « abattre » l’autre :

  1. d’abord l’enfant lui-même qui sera accaparé et (subtilement ou non) manipulé contre l’autre parent. C’est la pièce maîtresse du jeu dans notre société de l’enfant-roi (dont l’avis exprimé devant le Juge (avec le maximum de « sincérité » et de conviction possible) sera déterminant.
  2. la notion d’intérêt supérieur de l’enfant dont on démontrera avec l’aide de son conseil qu’il colle nécessairement avec ses objectifs propres
  3. les personnes de l’entourage qui voudront bien témoigner : médecins, institutrice, voisins, avec attestations à l’appui.
  4. La médiation familiale, démarche officiellement libre et confidentielle, que l’on peut abandonner sans avoir à se justifier et sans aucun rapport à la clef. Mais attention, la médiation peut être utilisée par certains pour gagner du temps (le temps nécessaire au ciment encore liquide de devenir solide), pour avoir le maximum d’informations sur la position, les fragilités, les limites de l’autre.
  5. l’expert à qui on va donner l’image du bon parent
  6. et même la notion d’aliénation parentale dont parfois chaque parent accuse l’autre….

SITUATIONS OUVERTES ET SITUATIONS EN VOIE DE BLOCAGE

Tant que l’enfant continue à avoir des contacts réguliers et plus ou moins normaux avec chaque parent
Tant qu’une possibilité de dialogue (même minimal) existe entre les parents,
Tant que l’enfant ne formule pas de plainte grave à l’encontre d’un parent,
Tant qu’un minimum de respect pour le rôle de l’autre parent existe,
Tous les moyens possibles pour permettre aux parents de rester parents, si possibles collaborant doivent être encouragés et proposés : conseil conjugal, informations sur la parentalité après la séparation, informations sur les procédures juridiques et leurs conséquences, psychothérapie individuelle ou de couple, et bien entendu la médiation familiale.

LES CLIGNOTANTS

Par contre si apparaissent clairement des signaux clignotants indiquant qu’un DEBUT de blocage de la part de l’enfant ou du parent « gardien » se manifestent, le système judiciaire devrait avoir les moyens de statuer et d’agir efficacement et rapidement pour avoir quelque chance d’inverser le cours fatal des choses.

Ces clignotants sont d’abord perçus par le parent « éloigné » ou en voie de l’être, puis par les différents intervenants sollicités en première ligne : avocat, police, assistante sociale juge de paix, Service d’Aide à la Jeunesse….
Ces signes sont ceux qui sont mentionnés par les théoriciens de L’Aliénation Parentale, du moins lorsqu’on est en droit de penser qu’il s’agit d’une aliénation parentale sévère. (cfr les articles concernés par le sujet). Il s’agit par exemple du rejet massif sans nuance du parent par l’enfant, d’arguments empruntés à l’adulte, de la mise en avant d’un événement unique et anodin, de l’incapacité totale à reconnaître la moindre qualité ou bon souvenir du parent concerné etc...
Ces critères, même s’ils sont pertinents, peuvent en général être contestés par la « partie » visée.
La mise en avant de tels arguments donne presque toujours lieu à une contre argumentation ou à un déni total de la partie concernée. Il est très souvent difficile de prouver le caractère objectif de telles observations.
Si de tels reproches s’expriment dans le cadre d’une procédure judiciaire, la reconnaissance officielle de la « dangerosité » du parent dit aliénant prend souvent un temps considérable et aboutissent souvent à la reconnaissance par la Justice du fait accompli, d’autant que la Justice accorde un très large crédit à l’opinion de l’enfant qui, vu le temps laissé au processus de manipulation va consolider et affiner sa position de rejet. Si après « X » temps le parent rejeté se voit enfin reconnu dans ses droits de parent, la Justice se déclare impuissante à obliger  (éventuellement par la force) un enfant à retourner chez ce parent, devenu non seulement étranger mais même ennemi, étant rendu responsable aux yeux de l’enfant de l’« agression » faite à son parent proche et à lui-même du fait d’avoir initié cette procédure, longue, coûteuse et stressante.
Cet aboutissement (la reconnaissance implicite par la Justice du fait accompli) donne ainsi une prime au parent qui s’est révélé le meilleur manipulateur, avec l’aide de son conseil.

LES EXPERTISES

Elles longues et souvent laborieuses et surtout elles arrivent rarement à rétablir la collaboration parentale et à retisser le lien rompu, malgré les objectifs très souvent prescrits dans l’expertise « de tenter de concilier les parties ».

LA MEDIATION FAMILIALE

Comme nous l’avons dit plus haut, dans un tel contexte d’affrontement,  la médiation est presque toujours utilisée par le parent « aliénant » pour 1) montrer sa bonne volonté, 2) obtenir un maximum d’informations sur l’autre, y compris ses points faibles 3) trouver le moyen de déstabiliser l’autre et si possible de faire en sorte que ce soit l’autre qui abandonne la médiation, portant ainsi la responsabilité  de l’arrêt du processus…
En tant que médiateur expérimenté, nous affirmons clairement que dans de telles situations, la médiation familiale est totalement inutile, c’est une perte de temps, une perte d’argent.

LA NON PRESENTATION D’ENFANT : LE SEUL« CLIGNOTANT » INCONTESTABLE

Pour éviter l’enlisement et la cristallisation rapide de ces situations, la Justice dispose d’un critère simple et objectif  comme signal d’alarme : la non présentation d’enfant. Ce critère a le mérite d’être un fait incontestable.
Nous répétons ici (cfr l’article précédent) que  pour être incontestable, il faut que ce concept se réfère strictement à la notion de RISQUE DE PERTE DU LIEN PARENTAL et non à la notion quasi toujours contestée ou rejetée d’aliénation parentale.

Il faut, dès le départ partir du CONSTAT que l’enfant n’a plus eu de contact depuis X temps avec l’autre parent et interpeller le parent proche par rapport à cette situation : la trouve-t-elle normale; souhaitable ou non, quelles sont ses intentions : laisser faire ou agir ? Comment ?
Une réaction très fréquente de la part du parent proche dans ces cas, est de mettre en avant le fait que l’enfant n’a pas ENVIE d’y aller ou que l’autre parent est inadéquat ou même dangereux. A ce stade, ces objections ne doivent pas nécessairement  être niées.

MISE EN PLACE D’UN DISPOSITIF ANTIDERAPAGE

Une fois la notion de risque de perte du lien acceptée par le parent proche, on peut lui tenir à peu près ce langage :
- « Soit vous utilisez immédiatement votre autorité parentale pour faire en sorte que l’enfant reprend les liens prescrits par le jugement, soit si vous en êtes incapable, ou si vous pensez qu’il y a un problème grave et insoluble qui est de nature à empêcher ces liens, et  quelle que soit la responsabilité de l’autre parent dans le fait que l’enfant ne désire plus le voir, êtes-vous d’accord de collaborer à un  l’éclaircissement de la situation par un intervenant qualifié qui pourra objectiver les causes de cet empêchement de l’enfant vis à vis de l’autre parent. L’autre parent sera bien entendu impliqué dans ce processus.
Sa responsabilité et son implication dans la situation actuelle  seront examinées le plus objectivement possible.
En fonction de ce premier diagnostic de « dépistage », nous jugerons ce qu’il est utile de décider ou de mettre en place pour respecter au mieux l’intérêt des enfants. En attendant que ce processus de clarification aboutisse, estimez-vous en tant que parent avoir la compétence parentale  nécessaire pour convaincre votre enfant de rétablir de suite l’hébergement tel qu’il était convenu dans le jugement ? Si (éventuellement) vous estimez que votre enfant court un danger grave en allant chez l’autre parent, signalez le nous et nous réagirons alors de la manière la plus appropriée en fonction de l’intérêt de l’enfant»

Il faudrait selon nous qu’à ce stade , sans  utiliser nécessairement le ton de la menace, que le parent « proche » soit informé du fait qu’une entrave injustifiée de sa part au rétablissement des liens normaux parents-enfants sera sanctionnée soit par une astreinte, soit même par une inversion de l’hébergement, en arguant que la Justice privilégiera le parent qui soutient le plus le rôle de l’autre parent..

LA GUIDANCE PARENTALE

A partir de là plusieurs possibilités devraient exister :
Soit si la méfiance et les tensions persistent la poursuite d’une « guidance parentale » telle que définie dans l’article précédent s’avère nécessaire: Guidance prescrite et encadrée par la Justice, avec rapport à la clef, mais avec, dans ce cadre, une forte incitation à ce que les parents trouvent eux-mêmes un accord concernant l’enfant.
Si une aliénation parentale grave existe, elle devrait être décelée par l’intervenant lui-même et signalée dans le rapport au juge.

A partir de là, selon la situation, selon le contexte, une palette d’interventions serait à la disposition des parents ou des magistrats (cfr article précédent)

PRECOCITE DU « DISPOSITIF »

Au plus vite ce dispositif se met en place, au plus il aura de chances d’aboutir. Le parent qui constate la non présentation d’enfant devra le signaler rapidement. La personne qui reçoit la plainte devrait convoquer rapidement le parent proche et lui tenir à peu près le langage suggéré ci-dessus.

FAISABILITÉ DU « DISPOSITIF »

La mise en place d’un tel dispositif ou du moins une pratique judiciaire qui s’inspirerait de cette logique demande une réflexion à l’intérieur de chaque discipline (magistrats, juristes, psy, police..) et multidisciplinaire  qui concerne les articulations optimales entre ces disciplines. L’amorce de telles initiatives est déjà en train de se mettre en place.

L’AUTORITÉ PARENTALE (ET JUDICIAIRE) EN QUESTION

Dans notre société occidentale, un des problèmes majeurs que rencontrent les parents vis à vis de l’enfant, c’est de savoir ce que représente l’autorité parentale et comment l’exercer ?.
Après une cinquantaine d’années marquées par un courant « libertaire » (il est interdit d’interdire, surtout aux enfants) on commence à se rendre compte de l’importance pour les enfants, non seulement d’être aimés et respectés, mais aussi d’avoir en face d’eux des parents qui leur offrent des repères et des limites claires, limites que LES PARENTS APPLIQUENT EUX-MÊMES. Cette question des limites et des repères se pose quasi dans toutes les familles.

Mais que dire alors des familles qui éclatent dans le conflit parental ? Comment l’enfant peut il se construire des repères alors qu’il voit ses parents se comporter d’après la loi de la jungle où tous les coups sont permis (avec lui comme enjeu principal) entre les personnes qu’il aime et devrait respecter le plus au monde ?
Il faut bien avoir à l’esprit que des parents au départ sains d’esprit et responsables, aimant sincèrement leurs enfants, peuvent développer des COMPORTEMENTS toxiques du simple fait de l’escalade des conflits et des dérapages qui en résultent.
Certains couples sont sans doute plus prédisposés que d’autres à engendrer des conflits, mais personne ne peut se dire totalement à l’abri de tels dérapages.
C’est pourquoi, quand ces dérapages pointent à l’horizon, il nous semble du DEVOIR de la Justice de prendre le relais de la responsabilité parentale qui se disloque.
L’autorité parentale est sensée s’exercer au nom d’une LOI qui dépasse l’enfant et les parents eux-mêmes.
Si par accident ou non, les parents ne sont plus en mesure de représenter cette « loi commune à toute société humaine », et si par ailleurs la Justice elle-même se montre impuissante à la faire respecter, alors de plus en plus d’enfants seront « éduqués » à adopter dans leur vie la loi de la jungle (la loi du plus fort ou du meilleur manipulateur)

EN RESUME

Une exigence forte émerge de nos observations et de nos réflexions sur les conséquences parfois très lourdes pour l’enfant et les parents, d’une séparation très conflictuelle au départ ou qui le devient suite à une série de maladresses ou de dérapages des « parties », dérapages souvent amplifiés par la logique de confrontation du système judiciaire.

La Justice, pour rester crédible et efficace en matière familiale, chaque fois qu’elle perçoit les signes qu’un enfant est pris en otage d’un conflit parental qui aboutit à ce qu’un parent est en train d’être ( pour de bonnes ou de mauvaises raisons) éliminé de la vie de l’enfant ou qu’un ou deux parents se révèlent toxiques pour l’enfant, devrait pouvoir initier, sous la contrainte s’il le faut, un processus  ENCADRÉ  par elle qui rende aux parents la possibilité de continuer à rester (co) parents, et à défaut, de prendre les mesures qui protègent l’enfant de l’irresponsabilité soit structurelle soit accidentelle des parents.

Benoît VAN DIEREN
Psychologue et médiateur

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